La vie

Je suis allée voir ma grand-mère Hélène, hier. Elle a 95 ou 96 ans, j’oublie toujours son âge exact. Elle a du vécu.

Du vécu, parce qu’elle n’a plus de vie, vraiment.

Je ne l’avais pas vue depuis près d’un an. Avec l’Australie, puis mon été fou, puis l’Irlande, le Saguenay, Toronto, je n’ai pas été souvent à la maison au cours de la dernière année.

Et honnêtement, je ne priorisais pas ma grand-mère. Je suis peut-être une horrible personne, mais je l’admets.

Ça fait longtemps que ça me met mal à l’aise de voir ma grand-mère. Ça fait longtemps qu’elle ne semble plus trop vouloir vivre. Je la comprends.

Un CHSLD, ce n’est pas la joie. Elle ne marche plus depuis plusieurs années. Sa vision et son ouïe diminuent tout le temps. Ça doit être long, la vie, rendue à ce stade-là. Même si des membres de la famille sont plus assidus que moi et qu’elle a de la visite régulièrement, elle n’a pas grand-chose à faire, sauf attendre son tour de partir.

J’aime garder les souvenirs de ma grand-mère pleine de vie et souriante. La voir dépérir, ça modifie ces souvenirs, ça les remplace par des images que je ne veux pas avoir. Ce n’est pas parce que je ne l’aime pas ma grand-mère que je ne veux pas la voir trop souvent, c’est justement parce que je l’aime et que je ne veux pas la voir dans ce nouvel état.

Même si c’est ça, la vie.

Mais hier, c’était différent.

Ce n’était plus seulement ne plus vouloir vivre, hier. Elle survivait. Parce que son corps survivait. Son esprit n’y était plus.

Hier, j’avais envie de lui dire : «Dors, grand-maman. Tu as le droit. Je vais être triste quand tu ne seras plus là, on le sera tous… mais tu peux partir.» Je ne l’ai pas fait. Honnêtement, après Renaud qui est parti quand je lui ai dit de le faire, je n’ose plus trop dire des paroles du genre, parce que je crois vraiment qu’elles ont des conséquences.

On part quand on sait que ceux autour de nous sont prêts à nous voir partir. On choisit le moment de notre départ.

Ma grand-mère de plus de 90 ans, qui, dans mes souvenirs, est celle qui avait une patinoire dans sa cour et un solarium plein de drapeaux reçus en souvenir d’un peu partout dans le monde, celle qui avait toujours des soldats de chocolat et de la crème glacée napolitaine dans un carton dans sa salle à manger, celle qui nous remettait des bas de Noël avec des clémentines à l’intérieur, avait de la difficulté à boire de l’eau.

Ma grand-mère a pris ma main d’une façon si touchante quand je lui ai dit que je partais. Elle ne parle presque plus. Je crois que c’était sa façon de me dire au revoir. Je lui ai dit que je la reverrais. Je ne sais pas si ce sera le cas.

Je ne sais pas comment ma grand-mère se sent. Il est impossible de le savoir. Mais la voir dans cet état, à cet âge, ce n’est pas la même chose que voir quelqu’un de malade, où tu peux te dire que peut-être il y aura une belle vie par la suite. Ma grand-mère a presque 100 ans. C’est la fin.

Ma grand-mère est décédée moins de 24 heures après que j’aie écrit ce texte. 48 heures après que je l’aie vue pour la dernière fois. Deux de ses trois filles étaient à ses côtés. Elle nous a quittés environ une semaine après que son état ait vraiment commencé à se dégrader.

Je suis convaincue qu’elle a effectivement choisi le moment de son départ. Elle était prête.

J’ai pleuré. Beaucoup. Surtout en parlant à ma mère au téléphone, elle qui doit vivre toute cette gamme d’émotion depuis le Texas, où elle est en vacances.

C’est drôle, comme émotion.

D’un côté, je suis presque contente pour ma grand-mère qui peut enfin avoir ce repos mérité. D’un autre côté, ça ne semble pas réel… grand-maman était un peu immortelle. Et je ne suis pas certaine si j’étais si prête que ça pour son départ…

Je partage d’autres réflexions sur le temps et l’amour dans mon billet Prends une minute.

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